Histoire de l'horreur: Partie II, de 1960 à 1978

Publié le par François Declercq

Histoire de l'horreur: Partie II, de 1960 à 1978
Par Nicolas Ravain

Les années 60 et 70 sont des périodes extrêmement riches dans l’histoire du cinéma d’horreur, avec l’apparitions de nombreux réalisateurs (Bava, Argento, Spielberg, Romero, Craven, Hooper, Polanski) qui, chacun à leur façon, font évoluer le genre dans des directions totalement nouvelles et pour le moins… terrifiantes.

I - Les nouveaux visages de l’horreur :

Au début des années 60, le cinéma d’horreur entame une véritable transformation. Il y a, d’un côté, une veine gothique, fondée sur des éléments classiques, utilisant le noir et blanc et l’aspect du conte : ce sont principalement les films de Roger Corman adaptés des nouvelles d’Edgar Poe (La chute de la maison Usher, Le puit et le pendule, L’enterré vivant, L’empire de la terreur…) et les films que réalise Terence Fisher pour les studios de la Hammer (Les maîtresses de Dracula, Le fantôme de l’opéra, L’île de la terreur, Dracula prince des ténèbres). C’est également à cette époque qu’en Italie, Mario Bava réalise son premier film, Le Masque du Démon (1961), véritable opéra baroque à la mise en scène virtuose où il est question d’une sorcière vengeresse ressuscitée. En Angleterre, deux ans plus tard, Jack Clayton adapte la nouvelle  Le Tour d’Ecrou d’Henry James pour son film Les Innocents, qui met en scène l’histoire de deux enfants aux pouvoirs maléfiques, le tout dans un noir et blanc cinémascope d’une beauté à couper le souffle.

Parallèlement à cette veine gothique qui tombera en désuétude dans les années 70, se développe un nouveau courant, une nouvelle esthétique de l’horreur, initiée par Psychose d’Alfred Hitchcock et Le voyeur de Michael Powell. Ici, les créatures fantastiques adoptent un visage humain (Norman Bates et Mark Lewis) et les manoirs deviennent simples Motel ou appartement londonien. L’horreur n’est plus seulement de l’ordre du conte mais s’ancre dans une réalité plus concrète, donc plus imprévisible. Ainsi, Hitchcock fait tuer son personnage principal à la moitié du film (la fameuse scène de la douche, d’une violence graphique rare pour l’époque) et choisit de ne pas tuer le meurtrier à la fin, deux choses inconcevables et profondément choquantes pour le public de l’époque. Michael Powell, lui, choisit de raconter l’intrigue en se plaçant du côté du meurtrier, forçant le spectateur à éprouver une certaine empathie pour ce personnage qui assassine des femmes à l’aide de son pied de caméra. Ces deux films marquent la naissance du psycho-killer au cinéma, cet être instable, névrotique, à l’apparence « normale », que l’on retrouvera bien des années plus tard dans des films tels que Maniac, Le Silence des Agneaux , Henry : Portrait d’un Serial Killer ou encore Seven.

En 1963, Hitchcock met en scène Les oiseaux qui, par sa virtuosité technique au niveau des effets spéciaux, terrifie les spectateurs du monde entier à la seule vue… d’une nuée de corbeaux. Une fois encore, il n’est plus question de créatures monstrueuses ni de châteaux hantés, mais seulement d’une horde d’oiseaux qui sème la terreur dans une tranquille banlieue américaine.

L’horreur a bel et bien changé de visage.

II – Naissance du gore : briser un tabou :

L’année 1963 est une date importante dans l’histoire du cinéma d’horreur avec la sortie de Blood Feast, d’Herschell Gordon Lewis. En effet, on considère ce film comme étant le premier film gore, c’est-à-dire montrant de façon explicite les mutilations infligées au corps humain (giclée de sang, tripes à l’air). Si le scénario est totalement absurde (un traiteur nommé Ramsès prélève les organes de jeunes vierges pour célébrer le culte d’un Dieu de l’antiquité), le film choque par la mise en scène de meurtres filmés en gros plans à grand renfort de détails sanguinolents : Ramsès coupe les jambes d’une femme après lui avoir crevé les yeux ; il prélève à vif la cervelle d’une autre ; arrache la langue d’une troisième et en fouette une autre à mort. L’année suivante, Gordon Lewis réalise 2000 Maniacs, qui va encore plus loin dans l’horreur la plus crue en racontant les exploits d’une ville de fous criminels qui massacrent six touristes innocents. 

Avec ces deux films, c’est un véritable tabou qui s’écroule : jusqu’ici, la violence ne devait être que suggérée, que ce soit par le son, par des jeux d’ombres ou des éléments très précis. Mais maintenant, tout peut-être montré, il n’y a plus de limites. Et beaucoup de réalisateurs vont s’engouffrer dans cette brèche dans l’espoir d’horrifier toujours plus le spectateur. Ainsi, en 1968, George A. Romero signe son premier film, La Nuit des Morts-Vivants, dans lequel un groupe d’individus se réfugient dans une maison prise d’assaut par des zombies cannibales. La suite qu’il signe en 1978 intitulée Zombie comporte beaucoup plus d’éléments gore : les têtes explosent, les membres sont arrachés et le sang gicle à profusion.

Un autre cinéaste spécialiste de l’horreur fait également ses débuts dans le cinéma gore avec Frissons (1975) et Rage (1976) : il s’agit de David Cronenberg. Celui-ci utilise le gore de façon plus médicale, en le plaçant dans des situations plus réalistes : dans Frissons, un virus transforme en furies cannibales de tranquilles habitants d’une résidence ; dans Rage une jeune femme mute à la suite d’une opération chirurgicale.

III – Le "giallo" : l’horreur à l’italienne :

Les années 60 voient également la naissance en Italie d’un autre courant du cinéma d’horreur : le giallo. En 1963, Mario Bava pose les fondements de ce genre avec La Fille qui en Savait trop, dans lequel une jeune femme est témoin d’une scène qu’elle n’aurait jamais dû voir. L’année suivante, il réalise Six Femmes pour l’Assassin, considéré comme le véritable premier giallo de l’histoire du cinéma : croisement entre le film policier, le fantastique et l’érotisme, le tout filmé d’une façon extrêmement esthétisante. Le terme « giallo » (« jaune » en italien) fait référence aux couvertures des magazines bon marché publiés entre 1930 et 1960 dans lequel on pouvait lire des histoires policières à tendance horrifiques de piètre qualité.

Dans les années 70, c’est le réalisateur italien Dario Argento qui prend le relais en réalisant L’Oiseau au Plumage de Cristal, dans lequel un journaliste est témoin d’une tentative de meurtre dans une galerie d’art. Cinq ans plus tard, Argento signe son chef-d’œuvre, Les Frissons de l’Angoisse, avec en tête d’affiche David Hemmings dans le rôle d’un pianiste sur les traces d’un tueur psychopathe. Ici encore, la réalisation est virtuose, l’atmosphère très soignée et le suspense garanti.

Plusieurs autres réalisateurs italiens s’illustreront dans le giallo, mais sans atteindre la force visuelle de Bava et Argento : Lucio Fulci (La longue nuit de l’exorcisme), Sergio Martino (L’étrange vice de Mme Wardh, L’alliance invisible) ou encore Aldo Lado (Je suis vivant, Qui l’a vue mourir ?) et Umberto Lenzi (Knife of Ice).

IV – Survival, snuff-movies et cannibales :

En 1972, Wes Craven réalise son premier film de fiction : « La dernière maison sur la gauche ». Ce film marque les débuts d’un autre genre dérivé du film d’horreur, le « survival », qui met en scène un individu ou groupe d’individus dits « civilisées » dans un lieu naturel hostile face à un groupe d’être humains violents qu’ils devront combattre pour survivre. L’histoire est simple : deux jeunes femmes sont kidnappées par une famille de rednecks dégénérés qui vont les torturer sans raison dans une forêt paisible. Si le film de Craven choque lors de sa sortie en salle, ce n’est pas à cause de quelques scènes gore relativement anodines en regard d’autres productions de l’époque (La Horde Sauvage  de Peckinpah et  Bonnie and Clyde de Penn sont bien plus sanglants) mais en raison de son traitement documentaire : caméra à l’épaule, image granuleuse, budget dérisoire et jeu des acteurs très naturaliste. Craven reprendra les mêmes ingrédients en 1977 pour aller encore plus loin dans l’horreur avec La Colline a des Yeux, l’histoire d’une famille perdue dans le désert et attaquée par une horde de cannibales vivant dans les montagnes.

En 1974, Tobe Hooper passe lui aussi pour la première fois derrière la caméra et réalise Massacre à la Tronçonneuse dans lequel un groupe d’amis se fait massacrer par une famille de bouchers dégénérés au fin fond du texas. Comme pour le film de Craven, l’histoire s’inspire de faits réels et le traitement qu’adopte Hooper renforce cette impression de réalisme.

Ainsi, l’horreur n’est plus exprimée par une mise en scène grandiloquente, à grand renfort de musique et d’effets sanglants, mais par cette volonté de rendre réelle la violence sans jamais la justifier : « Pourquoi ne pas avoir de l’horreur juste pour le plaisir de l’horreur ? déclarait Tobe Hooper à la sortie du film. Pas de motivation, pas de logique, rien. »  C’est bien cette attitude par rapport à la violence qui a choqué à l’époque, cette volonté de ne pas poser de jugement, de ne pas délimiter clairement la frontière entre le Bien et le Mal, notions pourtant fondamentales, et ô combien rassurante, dans le cinéma d’horreur (cette délimitation refera son apparition quelques années plus tard, à la fin des années soixante-dix et dans les années quatre-vingt, avec des films comme Halloween, Les Griffes de la Nuit ou encore Vendredi 13).
 
Alors que l’horreur la plus crue et la plus brutale s’expriment de plus belle sur les écrans de cinéma sous des formes de fictions-réalistes, apparaissent à cette époque les snuff-movies, ces films clandestins dans lesquels apparaissent d’authentiques scènes de torture et de meurtres : « La première apparition publique de ce terme, dans sa signification criminelle relative à un genre ‘cinématographique’, remonte précisément au début du mois d’octobre 1975 : Joseph Horman, un sergent de police de New York appartenant au service de contrôle du crime organisé, évoque alors dans la presse l’existence de films clandestins enregistrés sur des bobines de huit millimètres. Selon lui, une dizaine de copies circuleraient sur le territoire américain. Ces films, qui seraient tournés en Amérique latine, ‘probablement en Argentine’ est-il précisé, sont baptisés snuff ou slasher. » 

Ainsi, l’esthétique réaliste des survivals des années soixante dix est tellement puissante que le doute s’installe dans l’esprit des spectateurs : où est la réalité, où est la fiction ? Les images dites « réelles » des événements qui secouent l’Amérique sont récupérées par les médias, transformées, coupées, déchiffrées, les transformant ainsi en images suspectes ne correspondant plus à aucune réalité, tandis que les fictions se font réalistes, sans discours, sans psychologies, leur conférant ainsi un statut plus véridique, donc générateur de peur.
On peut noter également que c’est à cette époque qu’apparaissent les « films cannibales », ces fictions se déroulant en pleine jungle et utilisant les codes esthétiques du documentaire pour donner une impression de réalisme aux événements. Le premier de ces films est Au Pays de l’Exorcisme (1972), d’Umberto Lenzi, qui raconte comment un journaliste anglais est capturé puis initié aux rites d’une tribu vivant à la frontière de la Thaïlande et de la Birmanie. En 1977, Ruggero Deodato réalise Le Dernier Monde Cannibale, qu’un carton prégénérique présente comme une histoire vraie.  

Ainsi, la confusion quant au statut des images est totale, et la violence plus que jamais réelle, même lorsqu’elle n’est que fictionnelle. 

V – Les blockbusters :
 
Enfin, parallèlement à cette veine réaliste, le film d’horreur est récupéré par les grandes compagnies hollywoodiennes suite au succès de L’Exorciste que William Friedkin réalise en 1973. En effet, c’est la première fois qu’un film d’horreur se hisse au sommet du box-office, battant même les scores du Parrain de Coppola. Avec un casting prestigieux, un budget confortable et une campagne promotionnelle très bien orchestrée, le film est un véritable électrochoc et terrorise les spectateurs du monde entier.

En 1975 sort Les Dents de la Mer de Steven Spielberg, qui est lui aussi un véritable blockbuster de l’horreur. Le budget est énorme, tout comme le succès. Le film terrorise les spectateurs par le traitement des séquences maritimes, avec cette caméra immergée dans l’eau tournant autour des jambes des futures victimes, le tout accompagné par la musique très stressante de John Williams.

L’année suivante sort La Malédiction de Richard Donner, qui surfe sur le succès de L’Exorciste avec cette histoire d’un jeune enfant possédé par le Diable avec en tête d’affiche Gregory Peck, peu habitué à ce genre de films.  

Pour terminer, il faut évoquer quelques films importants de cette époque qu’il est difficile de faire rentrer dans les catégories citées précédemment : Soeurs de sang (1972) et Carrie (1976) de Brian De Palma, qui reprennent la grammaire hitchcockienne en allant plus loin dans l’horreur et le gore ; Répulsion (1966), Rosemary’s baby (1968) et Le Locataire (1976) de Roman Polanski, une trilogie du cinéaste polonais sur les appartement inquiétants qui font naître l’horreur par des moyens plus suggestifs mais non moins flippants ; et puis Suspiria (1976) de Dario Argento, Duel de Spielberg, Eraserhead de David Lynch, La Maison du Diable (1963) de Robert Wise…


Dans les années 80, l’horreur prend de nouvelles directions, notamment avec Halloween de John Carpenter et Alien de Ridley Scott. Mais ceci est une autre histoire…

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